samedi 30 mai 2015

Napoléon superstar à Waterloo





200 000 personnes sont attendues le 18 juin pour revivre la dernière bataille de l’empereur. Tandis que Napoléon est devenu, en France, un pestiféré...

À Waterloo en Belgique, les "reconstitueurs" de la bataille en grande livrée pour l'ouverture du Mémorial 1815 le 21 mai.
À Waterloo en Belgique


C’est l’un des paradoxes de notre histoire hexagonale : si Napoléon reste un véritable épouvantail pour la gauche française et notre Éducation nationale, il continue à fasciner et à passionner bon nombre d’Européens, et même au-delà. La dernière preuve reste l’incroyable succès que remportent les reconstitutions dantesques organisées pour célébrer les 200 ans de la fameuse bataille de Waterloo, aux portes de Bruxelles, du 18 au 20 juin 2015. Pas moins de 200 000 personnes sont attendues sur trois jours pour revivre le choc entre les armées de Napoléon et celles des troupes coalisées anglo-prussiennes, soutenues par les Néerlandais. Bataille mémorable, boucherie épouvantable, qui s’est terminée par une défaite française, la chute de l’Empire et l’exil de Napoléon sur l’île de Sainte-Hélène.

Dans les faits, il s’agit de la plus grande reconstitution jamais réalisée en Europe : 6 000 figurants, 300 chevaux et une centaine de canons vont s’affronter - pour de faux - sur deux jours. Le 19 juin, les spectateurs pourront assister à l’attaque française, aux cris de « Vive l’empereur », incarné ce jour-là par l’avocat Frank Samson, un Français passionné par son modèle, habillé au détail près, qui raccrochera son bicorne après ce dernier tour de piste... Le 20 juin, ce sera la riposte alliée et la fameuse Garde impériale qui finit par ployer sous le feu anglais, pendant que Blücher et Wellington, plus vrais que nature, fêteront leur victoire. Les tribunes à 38 euros minimum la place sont déjà archi-combles, les billets se sont vendus comme des petits pains, les spectacles affichent complet trois semaines à l’avance et les retardataires pourront toujours s’inscrire pour la grande soirée du 18 juin, intitulée « Inferno », un show mêlant images, son et pyrotechnie pour ouvrir les célébrations.
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Des participants venus du monde entier

Les organisateurs espéraient un succès, mais pas à ce point : devant l’affluence, des places ont été rajoutées. Il a fallu aussi gérer les demandes massives des amateurs, prêts à enfiler leurs costumes pour faire partie du tableau. Plus de 8 000 « reconstitueurs », comme on les appelle, ont souhaité participer aux batailles, un véritable record ! Originaires de plus de cinquante pays différents, ils sont tous passionnés par l’épopée impériale, l’amour des costumes, et le respect des codes et des usages militaires, afin de se rapprocher au plus près de la grande Histoire. Trois bivouacs grandeur nature seront reconstitués, où Frank Samson, alias Napoléon, a déjà prévu d’installer sa tente impériale meublée, avec toute la vaisselle... On annonce même la présence des Royal Scots Greys, le prestigieux régiment écossais reconstitué avec minutie, qui chargea avec vigueur l’infanterie française sur ses chevaux couleur argent.
Mais que va-t-on vraiment célébrer ces jours-là ? La victoire de Wellington ? Pas assez fédérateur. La chute de l’Empire ? Il n’y a pas d’esprit revanchard là-dessous. Non, c’est bien l’ombre de Napoléon que l’on vient retrouver derrière cet alignement de parade, cette poudre d’artifice et ces cris de guerre poussés par des amateurs enthousiastes... Il suffit de regarder les objets souvenirs déjà proposés en boutique : un bicorne de l’empereur pour 15 euros, des mugs, des porte-clés... Il n’y a qu’à jeter un œil sur l’affiche de l’événement : qui, d'après vous, s’étale en grand sur le poster, écrasant les autres figures militaires de cette bataille terrifiante ? Napoléon, encore et toujours, la star de l’Histoire qui fait toujours recette.

"Un côté romanesque, tragique et démoniaque"

« Napoléon est un vrai mythe, sauf en France, se désespère l’historien Dimitri Casali, auteur de Qui a gagné Waterloo ?*. C’est le personnage le plus représenté dans les arts après le Christ. Les Russes, les Polonais, et même les Anglais, l’admirent. Ses victoires ont donné des noms à des villes des États-Unis, pendant que chez nous on refuse de lui ériger des statues et qu'on retrouve son visage uniquement sur du cognac ! Pour un homme qui a gagné plus de victoires qu’Alexandre, César et Hannibal réunis ! » Mais pourquoi une telle popularité ? « Napoléon est un personnage multiple, explique-t-il. Chacun y retrouve ce qu’il cherche. Il est à la fois stratège et législateur, mais aussi le grand diffuseur des idées neuves de la Révolution en Europe, sans oublier ce côté romanesque, tragique et démoniaque, qui fascine toujours. »
En France, il faut donc s’attendre... à rien. La chute du géant aurait pu déboucher sur une réflexion nationale objective, une grande exposition qui aurait pu faire le tour du monde... On doit se contenter de sorties de livres opportunes et de quelques initiatives de musées, comme Carnavalet et son focus sur les traces laissées par Bonaparte dans l’architecture parisienne, ou Malmaison, qui revient sur le projet d’émigration de l’empereur en Amérique... Et c’est à peu près tout.
Faut-il s’en étonner ? Pour Austerlitz, aucun grand responsable politique n’avait osé commémorer l’une des plus grandes victoires de nos armées, toujours à cause de ce souci de repentance qui colle à notre histoire comme le sparadrap à la casquette du capitaine Haddock. Mieux encore : pour le bicentenaire de Trafalgar, en 2005, on n’avait rien trouvé de mieux que d’envoyer le porte-avionsCharles de Gaulle parader devant la reine d’Angleterre en baie de Portsmouth. Le plus grand vaisseau de notre flotte pour fêter l’une des défaites les plus cuisantes de notre histoire navale, il fallait oser ! De Gaulle a dû se retourner dans son caveau. Ce n’est pas en ignorant son histoire, avec ses gloires, ses héros ou ses errements, qu’une grande famille parvient à se construire, à s’accepter et à s’aimer.
Qui a gagné Waterloo ? par Dimitri Casali, éd. Flammarion.
Pour en savoir plus : waterloo2015.org

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